Gagneur.
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qu'ils emportèrent fur-le-champ chez ladite Hongroife, fa concubine, qui demeuroit lors chez un vitrier. Quelques jours après ledit fleur Gagneur s'étant rendu chez fa mère avec l'Hongroife, la plaignante qui demeuroit vis-à-vis, rue des Mauvais-Garçons, s'en étant aperçue, fut chez fa belle-mère et les trouva à table à fouper : elle témoigna à fon mari combien elle étoit fenfible à fa façon d'agir et lui fit les repréfentations les plus tendres. Ledit fieur Gagneur, au lieu d'en être touché, fe leva de table comme un furieux, prit fon épée et courut fur fa femme pour raffaffiner. Comme il lui portoit le coup, il fe trouva le chaudronnier de la boutique de ladite maifon, qui étoit monté au bruit qu'il avoit entendu, qui para avec la main le coup du fleur Gagneur ; fans ce fecours la plaignante auroit été affaffinée. Le fieur Ga­gneur, ayant totalement quitté fa femme, habitant publiquement avec l'Hon­groife, fa concubine, la plaignante ne fe. rebuta pas des mauvais traitemens de fon mari ; elle fit encore une tentative, dans l'efpérance de l'engager à revenir de fon erreur et à rentrer avec elle. Au lieu de reproches, elle fe fervit de tout ce qu'une femme peut dire de plus flatteur et de plus tendre pour gagner le cœur le plus endurci. Dans ce moment elle trouva fon mari chez fa concubine, en robe de chambre de fatin dont elle lui avoit fait pré-fent lors de leur mariage. Le fleur Gagneur, n'ayant aucun égard aux dé­marches de fa femme, la chaffa à coups de pied au c. et l'auroit percée avec fon épée fans les femmes qui recevoient les billets chez le fleur Rellier qui, s'étant trouvées à la porte, l'en empêchèrent.
Le fieur Rellier, informé des mauvais traitemens du fleur Gagneur envers fa femme et de fon habitation avec cette concubine, lui fit la morale la plus févère qui eut plus d'effet fur fon efprit que les démarches de fa femme. Le fieur Gagneur, cédant aux inftances du fieur Rellier, ou plutôt feignant d'y céder, rentra effectivement avec fa femme qui le reçut avec joie, ayant pour lui les manières les plus engageantes et comptant par là l'attirer à elle pour toujours. Il fe comporta affez bien les premiers jours, mais cette conduite n'étant pas fincère, ne dura que trop peu de tems. Le fieur Gagneur, pen­dant fés premiers jours de réconciliation, ne Iaiffoit pas d'aller au jeu du fieur Rellier, ce qui lui fourniffoit l'occafion de revoir fon Hongroife, et fit en outre connoiflance avec une autre femme nommée Placide. Cette der­nière fit rompre cette réconciliation ; car la plaignante, étant allée dans ces intervalles au jeu du fieur Rellier pour s'amufer comme les autres, au lieu de trouver fon mari dans les mêmes fentimens qu'il lui avoit témoignés à fon retour, il lui dit d'un ton d'aigreur : « Que viens-tu faire ici ? tu es faite pour garder la maifon et non pas pour venir examiner ma conduite. » Elle lui repréfenta de lui laiffer voir le jeu pour ce jour-làet qu'elle.n'y revien­droit pas davantage : le fleur Gagneur, irrité de cette réponfe, tira tout d'un coup fon épée pour percer fa femme, ce qui fut heureufement empêché par les fieurs Vieux-Jaux, Chaumont, Dutacq et Riché, tous danfeurs de corde et voltigeurs du fieur-Rellier. Le même jour, le fieur Gagneur, de retour chez lui fur les onze heures du foir, maltraita cruellement fa femme à coups de